Marion adorait son boulot. Elle se répétait souvent qu’elle avait eu une chance incroyable de se faire embaucher dans cette grosse boîte pour faire un job qu’elle n’aurait jamais osé imaginer en rêve !
Fraîchement embauchée, elle avait choisi de se rapprocher au maximum de son bureau pour pouvoir y aller à pied. Le luxe quand on travaille en région parisienne ! Seule une quinzaine de minutes séparait désormais sa vie pro de sa vie privée. Et tous les matins, elle essayait de raccourcir cette distance en marchant d’un pas allant, à la limite de courir, ce qui faisait virevolter ses boucles brunes sur ses épaules. Son trajet était optimisé : elle changeait de trottoir 4 fois en tout et toujours aux mêmes endroits. Elle savait exactement combien d’enjambées il lui restait avant que les feux ne repassent au vert et quel degré de rotation de la tête elle devait effectuer pour être en sécurité avant de traverser.
Il faisait rarement jour lorsqu’elle se rendait à son travail mais cela ne l’empêchait pas d’avoir le sourire, en anticipation de sa belle journée à venir. Elle préférait d’ailleurs partir avant l’aube pour éviter de se faire agresser par le klaxon des énervés du matin et par les pots d’échappement des nombreux véhicules coincés sur l’autoroute qu’elle longeait. Le noir aidait également à atténuer la laideur des bâtiments sans âme placés sur sa route. La nuit la protégeait en l’enveloppant d’une bulle douce et confortable.
Son ballet matinal se déroula à la quasi perfection pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’un jour, une pluie de violence s’abattit sur elle. Avançant avec des œillères depuis plusieurs années, Marion ne vit rien venir. Cette avalanche d’eau était si forte et si soudaine qu’elle en perdit pied et se fit entraîner vers les profondeurs. Elle erra ainsi de longs mois, ballotée par les flots, avant de ne réussir à remonter à la surface et de pouvoir reprendre son trajet habituel.
Bien que tout soit identique : les 4 rues à traverser, les embouteillages matinaux, l’odeur nauséabonde et les bâtiments gris, tout avait changé aux yeux de Marion. Elle avait désormais besoin de soleil et de beauté. Elle ne supportait plus d’évoluer dans un monde tout gris. Elle aspirait à plus de joie et de spontanéité. Et même si elle s’amusa un temps à partir à des heures différentes, à varier le rythme de ses pas, à essayer de jouer au jeu des 7 erreurs et à emprunter des itinéraires inédits, cela ne lui suffit plus.
Elle commençait à suffoquer et pas seulement pendant son trajet. Cette sensation se prolongeait toute la journée. Elle décida donc de quitter son travail bien-aimé pour tracer sa propre voie qu’elle se promit de couvrir de mille éclats colorés.
Ce n’était pas son trajet
Qui la faisait suffoquer
Car l’oxygène lui manquait
Pendant toute la journée.
Ni tenant plus elle comprit
Qu’elle devait fuir le danger
Pour reprendre goût à la vie.
Prenant son destin en main
Elle décida sans tarder
De s’éloigner du ravin.
Mais que son cœur lui dictait ?
Pour toujours de s’orienter
Vers des contrées enchantées
Qu’elle se promit de farder
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